L’inclusion scolaire des élèves avec Troubles du Spectre Autistique en France
Parmi le concept de l’école inclusive, nous avons longtemps parlé en priorité des élèves en situation de handicaps, physique ou mentaux. Les troubles du neuro-développement ne sont intervenus que très récemment dans l’équation, notamment en France. En souhaitant vous parler spécifiquement de l’inclusion des élèves avec TSA, il s’agit pour moi de pointer les failles du système inclusif, basé sur des protocoles généralisés, pauvres en moyens, humains, financiers et matériels. Un système qui peine d’autant plus face à la diversité des spécificités et des difficultés liées aux TSA.

Ce sixième épisode est une fois de plus documenté, puisque issu de mon Mémoire de recherche. Néanmoins, cette fois, j’ai souhaité m’appuyer en priorité sur des acteur.trice.s de terrain. Dans ce cadre, j’ai réalisé deux entretiens avec Marie Toullec, chercheuse en Sciences de l’éducation et professeur à l’INSHEA de Nantes et Valérie Gauzé, bénévole au sein de l’association Autisme Pau Béarn et maman d’un enfant autiste, afin de connaitre leurs expertises et leurs expériences de l’école inclusive tournée vers les élèves avec TSA en France.
Une scolarisation récente
En France, la scolarisation des enfants avec TSA est une histoire récente qui remonte à une trentaine d’années. Auparavant, cette population se trouvait incluse dans la catégorie des maladies mentales et donc généralement hospitalisée en hôpital psychiatrique (lorsqu’il y avait diagnostiqué). Il faudra attendre les années 1980 pour que, sous la pression des associations de parents, une scolarisation en milieu ordinaire dans des classes dites intégrées soit envisagée. Cette scolarisation se poursuivra dans les Clis et les UPI (transformées en Ulis) puis dans les établissements spécialisés dans les années quatre-vingt-dix, et enfin en inclusion dans les classes ordinaires des écoles et des collèges, à partir des années 2000.
C’est notamment le psychologue américain Eric Schopler et le programme Teacch, diffusé en France dans les années 90, qui a marqué cette période de transition, entre maladie psychiatrique et trouble neurodéveloppemental. Spécifiquement, dans les classifications internationales, c’est la notion de « trouble envahissant du développement » qui est choisie comme catégorie et a permis par le suite au chercheur.se.s de débuter leur travail de recherche, en quête de solutions pédagogiques de prise en charge.
Méthode Teacch
Parmi ces chercheur.se.s, E. Shopler va développer la méthode Teacch – Traitement and Education of Autistic and related Communication Handicapped Children – afin de proposer une méthode complète d’accompagnement des enfants avec TSA, basée sur l’éducation. Il s’agit, pour l’époque, d’une méthode complètement innovante puisqu’elle exclue tout soins médicaux, pour se baser sur une approche psychothérapique. En s’adaptant au profil de chaque enfant, elle obtient rapidement l’adhésion des parents et familles d’enfants et adolescent.e.s avec TSA rapidement. Néanmoins, il est à noter que la méthode Teacch, tout la méthode ABA qui va venir par la suite, va rester en périphérie du système éducatif classique, frileux de telles innovations. Ce sont donc surtout les établissements privés sous contrats, souvent considérés comme « alternatif » qui vont l’utiliser et qui l’utilisent encore aujourd’hui.
En parallèle, il faut attendre 1996 pour qu’un additif à la loi de 1975 fasse ressortir l’autisme des « maladies mentales évolutives » dans la loi française. Cette reconnaissance de l’autisme comme un handicap à part entière va permettre d’orienter plus facilement les familles vers le secteur médio-éducatif, chargé de faire le lien entre monde médical et milieu scolaire. C’est également la mobilisation des parents et familles qui va permettre l’ouverture, en 1985, de la première classe intégrée pour enfants autistes en école publique, dans la vallée de Chevreuse, à Bures-sur-Yvette. D’autres classes ouvrirons par la suite dans des écoles volontaires, malgré le scepticisme poignant de la population, encore largement gangrénée par des années de classement en maladie psychique.
Mobilisation des parents et familles
Dans la dernière décennie, la mobilisation des parents et familles n’a pas flanché en France, à laquelle s’est ajouté une certaine reconnaissance médiatique des personnes autistes, notamment pour leurs exploits sur le terrain scientifique. C’est en particulier le syndrome d’Asperger, connu comme étant une forme d’autisme à haut potentiel intellectuel, qui a permis de faire basculer l’opinion publique. Ainsi le film Rain Man a eu un grand retentissement dans notre société. Il a contribué aussi à faire évoluer notre représentation de l’autisme. L’acteur Dustin Hoffman y a interprété un autiste dans le milieu du spectre autistique, avec ce que Laurent Mottron appelle « des pics de compétence », qui n’avait rien à voir avec la représentation restrictive de de l’autiste replié sur lui-même et ne communiquant pas avec son entourage.
Aujourd’hui, il existe en France une cinquantaine de classes spécialisées autisme, ouvertes plutôt dans les écoles primaires et secondaires, à l’initiative des parents pour la majorité d’entre elles. En plus de la méthode Teacch, d’autres outils ont vu le jour comme le PECS (Système de communication par échange d’images) et l’ABA (Analyse appliqué du comportement). Malgré le fait qu’elles suscitent encore de nombreuses critiques du côté de certains chercheur.se.s français.e.s, ces méthodes restent nécessaire à l’appréhension des TSA en milieu éducatif.
Un modèle d’accompagnement individualisé
La problématique de formation des professionnel.le.s éducatifs est au cœur de la question de la scolarisation des élèves avec TSA, comme me le confirmait la chercheuse Marie Toullec en mai dernier :
« Entre 2005 et 2018 le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisé.e.s a été multiplié par 3 et le nombre d’élèves en situation de handicap accompagné.e.s (AESH) a été multiplié par 6 donc il y a une demande exponentielle d’accompagnement humain. Mais en même temps, la France se laisse piéger ou se laisse prendre à son propre piège, puisqu’elle a envisagé l’accompagnement plutôt individuel. On pouvait donc d’attendre à ce que cette demande explose et finisse pas poser un problème au système qui n’est pas fait pour faire face. C’est-à-dire qu’au lieu de mettre en place un système d’accompagnement des enseignements, c’est à dire dans toute classe de faire en sorte que l’enseignant soit accompagné d’un.e personne référente, un peu comme ça se passe en Italie, la France a choisi de faire accompagner les élèves individuellement ».
Cette question d’un choix de modèle « individualisé », fonctionnant notamment grâce à la présence des AESH reste sensible notamment auprès des associations de parents d’élèves avec TSA, dénonçant une prise en charge à deux vitesses. En effet, celle-ci induit la fermeture accélérée des IME, allant à sens inverse du système d’école inclusive pour le gouvernement, mais pourtant nécessaires dans la prise en charges d’élèves avec des handicaps lourds (dont certaines formes d’autismes).
L’inclusion à tout prix
Ainsi, après l’apparition de la notion de « scolarisation » dans la circulaire du 8 mars 2005, l’état est venu substituer la notion « d’obligation éducative » [Loi du 30 juin 1975], en annonçant le droit de chaque élève de pouvoir bénéficier d’un enseignement, adapté à ses besoins et capacités. Cette nouvelle modalité de scolarisation a obligé les établissements scolaire à travailler en réseaux avec, notamment, les de nombreux professionnel.le.s médico-sociaux (psychologues, psychothérapeutes, ergothérapeute…), par le biais de des MDPH et des associations notamment.
Ce travail en collaboration est régi en France par de nombreuses conventions et documents administratifs, comme me le précisait Valérie Gauzé, bénévole au sein de l’association Autisme Pau Béarn et maman d’un enfant autiste, lors de notre échange téléphonique en mai dernier. Ces nombreuses démarches administratives freinent la prise en charge des élèves avec TSA et continuent de ralentir leur véritable « inclusion scolaire ». Une nouvelle spécificité administrative française, loin d’être enviée par nos voisins européens …
Afin continuer votre exploration sur la situation de l'école inclusive en France, je vous propose la lecture de deux Revues scientifiques très complètes, publié par l'INSHEA : - SCOLARISATION DES ÉLÈVES AVEC AUTISME EN FRANCE : TRENTE ANS D'HISTOIRE… Christine Philip I.N.S.H.E.A. | « La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation » 2012/4 N° 60 - LA SCOLARISATION DES ENFANTS AYANT UN TROUBLE DU SPECTRE DE L'AUTISME PAR L'INTERMÉDIAIRE DU SOUTIEN AU COMPORTEMENT POSITIF Thiago Araujo Lopes, Mélina Rivard, Diane Morin, Jacques Forget I.N.S.H.E.A. | « La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation » 2012/4 N° 60 Je vous invite également à écouter ou réécouter les épisodes de mon podcast Voix d'école*, donnant la parole à ceux et celles qui font l'école aujourd'hui, le 7ème épisode vient tout juste de sortir ! : https://voixdecole.podbean.com/e/voix-d-ecole-n°7-bonus-2-un-concept-en-bref-les-troubles-du-neuro-developpement/ *Deezer, Spotify et Apple podcast
La prise en compte des élèves avec TSA est difficile en France et démontre bien, à mon sens, les limites d’un systèmes éducatif inclusif. Chaque élève avec TSA demande un accompagnement spécifique en fonction de sa neuroatypicité, ce qui limite les protocoles de prise en charge, au coeur de notre système français. De plus, le recourt aux AESH, sous fond d’un Accompagnement personnalisé demande énormément de moyens, humains, matériels et financiers, loin d’être une réalité au sein des écoles. Une fois de plus, si vous êtes intéressé.e.s par ma bibliographie et ma filmographie complète n’hésitez pas à venir vers moi, en commentaire, en MP ou par mail.
La semaine prochaine, je réfléchis à vous proposer une version courte de mon échange passionnant avec la chercheuse Marie Toullec, chercheuse en Sciences de l’éducation et professeur à l’INSPE de Nantes. Si vous souhaitez découvrir de nouvelles facettes spécifiques de l’école inclusive, n’hésitez pas à me faire part de vos idées en commentaires ou sur les réseaux sociaux du blog.
Si vous êtes un.e professionnel.le.s de l’éducation et que vous portez un projet d’école inclusive ou que vous souhaitez en être, n’hésitez pas à nous partager vos projets, idées et envies en commentaire ou sur les réseaux sociaux du blog: LinkedIn, Instagram, Facebook. Votre Regard est ici au coeur de tout !
Belle semaine sous le soleil d’automne,
Ella