L’école pour tous.tes Ep4

L’école inclusive en Espagne: politiques, réalité sociale et plans économiques 

Aujourd’hui, je vous propose de prendre de la hauteur sur la question de l’inclusion scolaire. Parce que des réalités sociales il en existe beaucoup, des systèmes spécifiques, plus ou moins adapté sont développés par centaines, il est intéressant d’aller voir ailleurs. Cet ailleurs pour nous aujourd’hui, c’est l’Espagne. Pays transfrontalier, européen tout comme la France, l’Espagne a pourtant un système éducatif bien plus inclusif, même si comportant des lacunes, vous allez le voir.

Ce quatrième épisode vous offre une perspective bien différente et il est important de prendre conscience qu’il s’agit là d’un système éducatif différent, d’une histoire socio-éducative aux origines autres. Si vous êtes intéressé.e.s par un exposé plus développé de cette histoire éducative Espagnole, n’hésitez pas à me le faire savoir (en commentaire ou sur les réseaux sociaux du blog) pour un potentiel prochain article. Comme pour l’épisode 3, j’ai nourri cet épisode à travers de nombreuses recherches, lecture d’ouvrages scientifiques et projections de documentaires, vous pourrez retrouver certaines références en fin d’article.

Un système inclusif de référence en Europe

L’Espagne est un des pays d’Europe avec le plus de lois et de législations intégrants la notion d’inclusion, notamment en milieu scolaire. La première date de 1974. Intitulé ‘Ley de integración, celle-ci a pour la première fois parlé d’inclure les élèves aux besoins éducatifs spécifiques, ayant un handicap lourd ou non, au sein du système éducatif classique. En 1985, l’Espagne a également promulgué le ‘Decreto de Ordenación de la Educación Especial’ mettant en application la loi antérieure. 

L’Espagne a également ratifié la Convention Internationale sur les droits des personnes en situation de handicap, promulguée en 2006 (LEO). Par la suite, en 2013, la ‘Ley General de Derechos sobre las Personas con Discapacidades’, a été voté par le gouvernement espagnol. Celle-ci réitère les engagements pris par le pays auprès de l’ONU en 2006 et fixe des objectifs précis quant à la mise en place de cette inclusion au sein de la société. Elle reconnait ainsi l’éducation gratuite pour tous et toutes et intègre le processus d’inclusion entant qu’élément nécessaire à une politique éducative juste et équitable.   

Parmi les bases de l’éducation inclusive espagnole, nous pouvons relever six points essentiels, partagés par toutes les régions du pays, libres de les mettre par la suite en application comme bon leur semble :

  • Education de tous les élèves au sein d’un système unique
  • Augmentation des moyens, financiers comme humains, pour valoriser le concept de NEE
  • Utilisation des Centros de Educación Especial seulement dans les cas ou il n’est pas possible d’inclure l’élève dans le système éducatif ordinaire
  • Elaboration de Règlements de la diversité (par région puis établissement)
  • Amélioration de la formation des professeur.e.s sur ce thème de l’inclusion
  • Création progressive de classes ouvertes Educación Especial au sein des écoles ordinaires

Dans cette dynamique, la notion d’inclusion a été intégrée à la formation des professionnel.le.s de l’éducation et spécifiquement des professeures d’écoles primaires. Ainsi, dans les cursus Educación Primaria, dans toute l’Espagne, il y a un cours spécifique dédié à l’inclusion des élèves aux besoins éducatifs spécifiques, anciennement appelé Educación Especial. Néanmoins, le contenu de ses cours dépend de chaque université, elles-mêmes dépendent des lois régionales. Ainsi, les plans de cours ne sont pas régularisés au niveau national, en cohérence avec la politique décentralisée du pays. 

Un système économique éducatif spécifique

Le système éducatif espagnol s’est forgé en déclinant le modèle économique général en un modèle économique de l’éducation. Celui-ci se divise en deux perspectives : une microéconomie, économie des individus et une macroéconomie, économie des moyens en éducations [Pédagogies, outils, formations mis au service de l’éducation par les institutions dirigeantes ; nationales et régionales dans le cadre de l’Espagne]. Pour contribuer à un système des plus équitable possible, entre les projections institutionnelles et les besoins sur le terrain, cette économie de l’éducation s’appuie elle-même une sociologie de l’éducation qui détermine en les coûts humains de chaque démarches et projections. Ainsi, les politiques éducatives sont réfléchies en amont pour s’insérer dans un modèle socio-économique en adéquation avec les besoins sociaux et les moyens financiers.

Cette dynamique socio-éducative qui s’intègre complètement dans une économie de l’éducation spécifique, rend fluide les prises de décisions en intégrant toutes les parties prenantes des projets. De plus, cette triple approche permet d’adapter en permanence les textes et les mises en pratique sur le terrain, donnant une cohérence globale aux politiques éducatives. Ainsi, l’éducation est considérée comme un « capital humain », autrement dit, un droit absolu et nécessaire qui permet à chaque individu de trouver sa place dans la société. En mettant les moyens sur ce capital humain, l’Etat et les Gouvernements régionaux sont certains d’assurer une longévité à leurs actions et pratiques. 

Cette théorie du Capital, donne 5 fonctions à l’économie de l’éducation :

  1. Les recherches | Elles permettent d’assurer une continuité aux modèles pédagogiques, intégrés au sein d’une dynamique de recherche éducative nationale.
  2. La culture des talents individuels | L’éducation se donne ainsi pour mission de faire éclore en chacun le meilleur de ses capacités et mettant en avant, les potentiels de chaque individu. 
  3. L’agent socialisateur | L’école permet aux individus de se rencontrer et de former des groupes sociaux se reconnaissant et créant des dynamiques socio-économiques, elles-mêmes issus de la formation académique des individus. 
  4. L’enseignement | La fonction traditionnelle de l’éducation est celle de transmettre les savoirs pour élever les individus dans la société. 
  5. L’élévation du pays | L’économie de l’éducation, ou le fait de dédier un modèle économique à l’éducation, permet de financer une dynamique nationale sur le long terme. 

En projetant l’éducation comme un moyen pour la nation de faire des « bénéfices » sur le long terme en formant les citoyen.ne.s dans leur ensemble, cette théorie positionne l’école comme nécessaire, sur le plan humain, financier et politique. En Espagne, la notion d’éducation inclusive est arrivée sur la scène politique entre 1970 et 2006 avec 7 lois et décrets clé.e.s :

  • 1970 : La loi général de l’éducation et des finances de la réforme éducative | Qui a considéré l’« Education spéciale » comme un système parallèle ordinaire.
  • 1975 : La création de l’Institut National de l’Education spéciale.
  • 1978 : Le Plan National de l’Education spéciale | Création notamment des principes d’Intégration scolaire et d’Individualisation de l’enseignement.
  • 1985 : Décret 334/1985 d’ordonnance de l’Education spéciale |Intégration des élèves avec un handicap en écoles dites ordinaires.
  • 1995 : Décret 696/1995 d’ordonnance de l’Education spéciale des élèves avec des besoins éducatifs spécifiques.
  • 2002 : Loi organique 10/2002 sur la Qualité de l’éducation (LOCE).
  • 2006 : Loi organique de l’éducation 2/2006. 

Un recours aux Centres spéciaux critiqué

Au fur et à mesure de l’application de ces textes dans les établissements scolaire, des travaux de recherche ont également été réalisés par des groupes de chercheur.se.s au sein d’universités partenaires. Nous pouvons notamment citer le groupe MEC de 1987, dirigé par le chercheur Marchesi pour évaluer le Programme d’Intégration scolaire en Espagne. Réalisé dans 173 écoles volontaires, cette étude a notamment permis de relever la nécessité d’inclure les élèves aux besoins éducatifs spécifiques dans les classes ordinaires, pour leur épanouissement personnel mais également pour créer une certaine mixité sociale dans les groupes pédagogiques. Dans ce même sens, elle dénonçait le manque de moyens humains et matériels pour assurer cette inclusion. Nous pouvons également citer le travail du groupe de chercheur.e.s Alvarez y colaboradores, « Fonctionnement de l’intégration en enseignement obligatoire, perception enseignante », datant de 2008. En réalisant un questionnaire auprès de 242 enseignant.e.s, celui a observé l’Education secondaire obligatoire et dénoncé la mauvaise intégration des élèves aux besoins éducatifs spécifiques, encore trop stigmatisés et trop opeu accompagné.e.s. C’est notamment à partir de ce rapport qu’ont été réfléchis les dernières politiques éducatives inclusives, dont la Ley de Educación para la Mejora de la Calidad EducativaLOMCE – datant de 2013.

Cette situation fait également échaux aux différences de moyens entre les Centres spéciaux (à majorité privés) et les écoles ordinaires (à majorité privées). Ce modèle, passé de l’intégratif à l’inclusif, n’a pas forcément été suivie de meilleures prise en charge budgétaires au niveau des établissements ordinaire, ce que déplore les directeur.trice.s et enseignant.e.s spécialisés, comme Jesús Garcia, Directeurr de l’école C.E.E Virgen del Pilar. Dans le documentaire «Educación inclusiva en Andalucía», réalisé par Canal Sur Televisión, il dénonce le manque de dotations spécifiques dédiées à l’accueil des élèves neurotypiques pour notamment leur permettre d’avoir des outils pédagogiques adaptées. 

Néanmoins, tous les professionnel.le.s présents dans le documentaire sont d’accord quant à l’importance de telles politiques inclusives au sein écoles ordinaires, comme l’explique Jonathan Sarria, Professeur d’Education spéciale au collège publique, Jacaranda : « Je crois que nous sommes [CF : la classe d’inclusion], une réelle opportunité pour l’ensemble du centre scolaire. En effet, les élèves du collège Jacaranda, depuis qu’ils.elles ont 3 ans sont habitué.e.s à avoir dans leurs classes des élèves aux besoins différents. Ils savent que certain.e.s de leurs camarades peuvent avoir besoin d’un accompagnement spécifique, d’être aidé.e et ont peut observer qu’ils.elles sont eux même habitué.e à s’aider les un.e.s les autres. Je crois vraiment que ce système inclusif créer plus d’attitudes solidaires et empathiques, dans l’école et en dehors. Ces enfants sont habitué.e.s à la différence et cette sensibilité est nécessaire dans le monde actuel ».  

Les politiques éducatives espagnoles dédiées à l’inclusion des élèves aux besoins éducatifs spécifiques ont énormément évolué ces dernières années en Espagne, tout en s’intégrant dans une dynamique d’économie éducative spécifique. La décentralisation des pouvoir, à permis aux régions autonomes de s’adapter aux besoins spécifiques de leur population, notamment grâce à une organisations en triptyque : écoles – associations – gouvernance régionale. Néanmoins, certaines incohérences persistent, notamment dans la différence de moyens budgétaires débloqués, entre les Centres spéciaux et les écoles ordinaires. Des incohérences qui empêchent une prise en charge inclusive complète et juste pour tous.tes.  

Afin continuer votre exploration sur la situation de l'école inclusive en Espagne, je vous propose le visionnage d'un documentaire, réalisé par la chaine espagnole Canal Sur, ainsi qu'un ouvrage scientifique de la chercheuse Maria S. Dauder (les deux références sont en espagnol, une bonne occasion de pratiquer la Idioma del sol...) :
- « Educación inclusiva en Andalucía », réalisé par Canal Sur Televisión – 8 octobre 2019
- Maria S. Dauder, “Las altas capacidades en la escuela inclusiva. Los Marramiaus de la calle Caballa Descarada”. (2016 – Segunda edición). Edición Horsori Editorial. 

Je vous invite également à écouter ou réécouter les 6 épisodes de mon podcast Voix d'école, donnant la parole à ceux et celles qui font l'école aujourd'hui:

Deezer, Spotify et Apple podcast 

Je suis très heureuse d’avoir partagé avec vous la perspective espagnole. Très inspirante, j’aime beaucoup l’approche humaniste de nos voisins hispaniques, favorisant l’inclusion comme transition sociale, au delà d’une simple transition éducative. J’espère que vous avez apprécié cette mise en perspective et je suis curieuse d’avoir votre avis sur ce nouveau Regard de l’éducation inclusive … Comme la semaine dernière, si vous êtes intéressé.e.s par ma bibliographie et ma filmographie complète n’hésitez pas à venir vers moi, en commentaire, en MP ou par mail. 

Pour boucler ce cycle de perspectives internationales d’un système éducatif, je vous amène la semaine prochaine dans LE pays à la pointe en terme d’éducation inclusive: le Canada. De l’autre côté de l’Atlantique, notre cousin francophone a des leçons de taille à nous donner: entre formation des professionnel.le.s développée, outils numériques inclusifs au sommet et politiques – nationales et régionales – adaptées.

Si vous êtes un.e professionnel.le.s de l’éducation et que vous portez un projet d’école inclusive ou que vous souhaitez en être, n’hésitez pas à nous partager vos projets, idées et envies en commentaire ou sur les réseaux sociaux du blog: LinkedInInstagramFacebook. Votre Regard est ici au coeur de tout ! 

Belle semaine et bonne transition automnale, 

Ella

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