Histoires d’héroïnes n°10 La Chica

Nous y voilà, déjà, le 10ème et dernier épisode de la série « Histoires d’héroïnes ». Dix semaines, qui resteront dans ma mémoire en vue du contexte socio-politico-sanitaire particulier et des conséquences que cela a eu dans ma vie. J’ai été très heureuse de partager cette parenthèse lecture avec vous, chaque semaine, pour un retour vers ces héroïnes qui ont bouleversé ma vie, de lectrice, de femme.

Pour clôturer, il fallait une héroïne de taille et de symboles. Je vous emmène donc dans ma partie du monde préférée, l’Amérique Latine, et plus précisément en Uruguay, avec une pièce de théâtre qui a marqué à jamais mon regard sur l’art et le l’humanité: Mi Muñequita [Ma petite poupée] de Gabriel Calderón.

La chica, n’a pas de prénom, elle pourrait donc être n’importe quelle petite fille. Sans nom, sans identité, avec seulement une poupée, une petite poupée, sa confidente, son doudou, son alter-égo. Elles ne sont pas l’une sans l’autre, jamais. L’une est innocente, peureuse, l’autre est la voix de la raison, dangereuse. Pleine de couleurs, de vie, à la mise en scène chargée et au jeu dynamique, cette pièce de théâtre hors du commun nous parle politique, à travers les yeux d’un enfant. Un coup de maitre, aussi douloureux soit-il.

Il y a des histoires qui doivent être racontées, au nom des cris silencieux jamais entendus

Ma petite poupée, de Gabriel Calderón

« La pièce est une « comédie dramatique burlesque et grotesque » qui narre l’histoire d’une fille navigant entre l’immaturité propre à son âge et un contexte familial marqué par la violence et l’inceste. Un récit qui ramène à la surface les histoires sombres et souterraines d’une famille apparemment « bien sous tout rapports… « .

– Synopsis Ma petite poupée, de Gabriel Calderón, éditions !Festival!

La chica

Pour vous contextualiser, j’ai découvert cette pièce de théâtre en lecture lors du Festival de théâtre latino-américain, Les Translatines (malheureusement disparut aujourd’hui…), sur la côte basque. Déjà bouleversée par le texte, que je me suis procuré dans ce superbe ouvrage, composé de trois pièces latino-américaines, je l’ai ensuite découverte sur scène l’année d’après, en présence du grand Calderón lui-même. Pendant ce festival, auquel j’assistais tous les ans avec mon option de spécialité théâtre du lycée, j’ai été stupéfaite de voir avec quelle poésie, couleurs et dynamisme, le théâtre latino-américain arborait les sujets les plus violents.

Depuis, j’ai eu la chance d’effectuer un semestre à Santiago, capitale majestueuse du Chili, pour étudier la communication et le théâtre latino-américain. Entre mes cours d’histoire du théâtre latino-américain, ceux de pratique et les rencontres d’artistes que j’ai pu faire sur place, j’ai peu à peu appréhender ce regard sur l’art, bien particulier. Car, si ce théâtre est aussi passionné, coloré et dynamique, c’est avant tout par nécessité. Entre colonialisme, dictatures et conflits culturelles, l’Amérique latine vit avec des histoires violentes et lourdes, récentes et donc d’autant difficile à accepter. Les fantômes de ces interdits, disparitions et mensonges sont partout et non seulement ils forgent les sociétés latinos actuelles, mais en plus ils ont donné à l’art un pouvoir extraordinaire; celui de se souvenir et de transmettre, par tous les moyens.

Disparitions d’enfants, guerres ayant déchiré des familles, la fuite, le déni, tous ces sujets si difficiles à aborder, d’autant plus sur une scène de théâtre, sont pourtant au cœur du théâtre latino-américain. Comme si il s’agissait là du seul biais pour s’exprimer, au delà de la censure, des dénonciation, de la surveillance permanente, politique mais aussi, trop souvent, intime. Le théâtre latino-américain, est libre, sans tabous, dernier rempart pour la liberté d’expression, riche de mots et de combats qui ont longtemps été tus. Et si aujourd’hui c’est bien sur la scène des théâtre que ces textes s’animent, il ne faut pas oublier qu’il naquirent avant tout dans les caves, les salons, les écoles et les recoins de rues, lumière de l’obscurité et cris du silence.

C’est bien dans cette histoire et ce contexte de création que Mi Muñequita est née. Pièce de théâtre engagée politiquement autant que riche artistiquement. Héritière des secrets de famille enfuis, ceux qui se cachent derrière les façades des maisons familiales joyeuses et les sourires éclatants de ses habitants. Pour entrer dans ce cadre, intime, il fallait que Gabriel Calderón trouve un Cheval de Troie. Des yeux qui nous ferait entrer de l’autre côté, là ou personne n’a jamais posé les yeux, à l’exception des protagonistes, bien sur. Arrive alors notre Muñequita, notre petite poupée, personnage ambigu de cette famille, prolongement de la petite fille et pire cauchemar de la mère, symbole de l’enfance.

En adéquation avec la mise en scène globale, la petite poupée est pleine de couleurs, surmaquillée et su-rhabillée, enjouée, riche d’énergie et de répliques aux petits oignons. Pourtant très vite nous comprenons qu’il y a un problème. Malgré son apparence toute sage, la petite poupée est sèche, violente même, si elle se positionne comme conseillère de la petite fille c’est surtout pour lui pointer ce qui ne va pas, allant jusqu’à l’encourager à faire du mal, à tuer.

La souffrance est omniprésente. Pourtant, tous continuent de rire, de s’exclamer, de s’animer, mais la tension elle monte, monte. On comprend à demi-mots qu’il s’est passé quelque chose, quelque chose de grave qui a fait mal, notamment à travers les cris du cœur de la petite fille qui réclame de l’amour. Quand l’oncle entre dans les échanges, nous comprenons. Derrière ces apparences parfaites, la famille est brisée, en milles morceaux depuis longtemps par un acte, des actes, atroces. Actes d’autant plus atroces qu’ils sont appelés actes d’amour …

Une fois la bombe lâchée, l’éruption se déclenche. La recherche du coupable idéal déchaine, encouragée par la petite poupée, jamais très loin. Elle est diabolique cette petite poupée, elle va jusqu’à entrainer la mort de sa voix fluette, pourtant plus les actes s’enchainent plus on prend conscience de certaines choses; la poupée et la petite fille ont la même voix, les mêmes mains, les mêmes actions. L’une manipule, l’autre passe à l’acte, mais pouvons nous vraiment continuer à parler d’elles au pluriel ?

Plusieurs fois pendant la pièce, la mère va gronder la petite fille lui demandant d’arrêter de faire l’enfant, lui arrachant la poupée, pourtant, nous l’avons compris, la petite fille n’est plus une enfant depuis longtemps, elle n’a pas eu le choix.

« LA POUPEE. – Maintenant, nous sommes seules toi et moi. Pour des années et des années. Mortes. Regardant le jardin et les petits trous. Regardant l’obscurité des morts enterrés… A demain, ma petite poupée« .

Ma petite poupée, de Gabriel Calderón, La vérité, p.82

Alors pourquoi parler d’une héroïne pour ce personnage, sans identité, plurielle, dangereuse, violent ? Parce que la chica, la petite fille, su Muñequita, sa petite poupée, ensemble sont des héroïnes de tous les jours. Celles qui subissent, qui se taisent, qui encaissent, à en crever, à en devenir folles. Celles que l’on entend pas, que l’on ne voit pas, que l’on oublie. En racontant et en mettant en scène cette histoire, Gabriel Calderón, met un coup de projecteur sur ces histoires de vie quotidienne qui se passent chaque jour autour de nous. Nous obligeant à nous arrêter entant que spectateur et nous encourageant à devenir plus que des témoins passifs.

Parce que c’est aussi à ça que sert l’art. Au delà du bien-être et du voyage que celui-ci nous procure, l’art, les arts sont des armes politiques, sociales, citoyennes, qui donnent un rythme au monde. En peignant ses pires côtés et ses plus belles richesses, en commentant, dénonçant, créant réflexion, l’art façonne le monde avec grandeur et poésie. Faisant en même temps de nous, les héros et les héroïnes d’histoires extraordinaires dans un monde pourtant d’apparence, bien ordinaire.


Je suis  émue et très fière de clôturer ainsi cette belle série « Histoires d’héroïnes ». Toutes ces femmes, réelles ou imaginaires, fortes et fragiles, pleines de rêves et de désillusions m’ont donné tellement de clés à travers leurs histoires, des clés que j’espère vous avoir transmise à mon tour, au cours de ces quelques articles.

Je vous retrouve la semaine prochaine pour le lancement d’une nouvelle série, différente, plus ancrée dans la réalité, avec un sujet qui, justement, est entrain de bouleverser mon histoire …

En attendant, prenez soin de vous et bonne semaine !

Ella

 

 

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