Nous sommes mercredi, c’est donc l’heure de notre rendez-vous Histoires d’héroïnes, avec aujourd’hui à l’honneur un classique de la littérature française qui a marqué mes esprits, sur le long terme: « Une vie » de Maupassant.
Dans cette série je vais prendre plaisir à naviguer entre les époques, les styles et les destins pour vous conter les héroïnes dans leur pluralité singulière. Aujourd’hui, en mettant à l’honneur Jeanne, je veux me pencher sur les héroïnes, créées et racontées par des hommes.
Portrait d’une époque pas si lointaine ou les femmes ne parlaient pas en leur nom.
Jeanne, dans « Une vie » de Maupassant
« Alors elle songea; elle se dit, désespérée jusqu’au fond de son âme: « Voilà donc ce qu’il appelle être sa femme; c’est cela ! C’est cela! » Et elle resta longtemps ainsi, désolée, l’œil errant sur les tapisseries du mur… Mais, comme Julien ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna l’entement son regard vers lui, et elle s’aperçut qu’il dormait ! Il dormait, la bouche entrouverte, le visage calme ! Il dormait ! » – Synopsis « Une vie » de Maupassant, éditions Folio
Souvent lorsque je dis aux gens à quel point ce livre m’a marquée et a été un des piliers indéfectibles de ma vision des femmes, du fait d’être une femme, ils restent béats. Comment une femme au destin si morne, pleine de rêveries ridicules, pantin de son père puis de son maris peut-être être considérée comme une héroine, féministe qui plus est?
Jeanne représente exactement ce contre quoi nous nous battons, nous devons nous battre. Cette position sociale de second plan [« Le deuxième sexe » de Beauvoir]; ce destin tracé de la femme, fille, épouse puis mère sans aucune autres possibilités; une éducation minimisée pour empêcher toute remise en cause du système – accès à certaines lectures seulement, exclusion des études au profit de la religion; mise en avant de la notion de devoirs (conjugal, maternelle…) et exclusion de celle de droits.
Jeanne, mais également Emma du roman de Flaubert, « Madame Bovary » sont des héroïnes vues, écrites et contées par des hommes. Récit d’une époque pendant laquelle la société prônait son patriarcat, sans le nommer et dans laquelle les femmes, prises au piège, passaient violement des rêves de mariage, à la réalité engendrée par celui-ci.
Le plus incroyable dans ce récit est d’observer la manière avec laquelle est introduite l’emprise. Par volonté de protection Jeanne a grandit au couvent, elle passe ensuite de l’emprise de son père à celle de son maris dans le même but, pour être préservée. Ne prenant pas de décisions pour elle-même, par elle-même elle ne peut être en danger et est ainsi préserver de toute erreur. L’argent ne lui est pas confié, elle le dépenserait certainement sans compter, des livres – autres que romances – ne lui sont pas permis, qu’elle idées cela pourrait lui donner, la présence des autres hommes (son maris, père) lui est interdite, elle ne saurait certainement résister à ses pulsions. Tous ces interdits finissent par lui donner une impression de protection, elle se fait une raison, sa peur devient alors son premier geôlier.
Finalement la prise de conscience va arriver, lentement sous forme de doute, elle va effriter les évidences et déconstruire les principes pourtant longtemps si évidents. Mais il est déjà trop tard. Le piège s’est refermé. Elle est pantin et le restera. Vivant au bon vouloir de ces hommes qui guident ses pas et décisions.
La résilience de Jeanne à la fin du récit à finit de créer en moi une promesse, une promesse de mon moi à mon je, de mon je à mon moi: je refuse la résilience, je refuse le destin, je refuse la place donnée. Je resterait libre d’être, de paraitre et vivre, pour celles, réelles ou fictives, qui n’ont pas eu cette chance.
« Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée: « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »
– Jeanne, Une vie, p.270.
Nous arrivons à la fin de ce second article sur les héroïnes, réelles ou fictives, qui ont marqué ma vision des femmes, de la femme, d’être une femme. Comme toujours, il me tarde de lire vos réactions, de comparer mon regard aux votres, en commentaire ou sur Instagram.
Ella